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14/06/2010
Nous l'avons déjà dit et répété : nous ne sommes pas assez efficace au niveau du
centre de décision Européen ... Mais on en parle de plus en plus
exemple cette intervention parue le 1er juillet 2008
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Haut fonctionnaire et énarque, Pierre-Henri
d’Argenson explique à quel point des fonctionnaires français
sont mal préparés à la compétition européenne. |
Vous opposez dans votre livre deux conceptions de l’Europe…
Oui. J’oppose l’Europe idéalisée par les élites françaises, dans
laquelle les institutions jouent le rôle qui leur a été assigné,
imperméable aux lobbies, et où les grands États conservent une part
déterminante dans la prise de décision, et l’Europe réelle, qui compte
27 États membres et qui fait la part belle aux batailles d’influences et
de compétences entre les institutions. La France a du mal à admettre
cette Europe-là, qui n’est plus l’Europe des 6 ou des 9. Au nom d’un
projet idéologique exclusif, on s’aveugle sur le fonctionnement
quotidien de l’Europe, quand une approche pragmatique s’impose. Nous
sommes en retard d’une Europe ! |
Pourquoi ?
Entre autres, parce que nos hauts fonctionnaires ne sont pas préparés à
l’Europe. Ils apprennent à raisonner « européen », au lieu de raisonner
français dans un espace européen. Contrairement aux Britanniques, qu’on
a grand tort de considérer comme des eurosceptiques et qui ont compris
tout le parti qu’ils pouvaient tirer de l’Europe. Ils se sont
parfaitement intégrés à la construction européenne et ils en maîtrisent
les rouages. Les Français n’ont pas compris comment on défend ses
intérêts au niveau européen. Ils en restent à une logique
institutionnelle, celle de la diplomatie classique. Or aujourd’hui, pour
défendre ses intérêts, il faut passer par le système de l’influence, des
lobbies, comme à Washington. Nous avons une méfiance instinctive, voire
un certain mépris, à l’égard de ces acteurs non-étatiques ; nous
n’arrivons pas à croire que leur action soit déterminante. |
En admettant que les Français comprennent comment défendre
leurs intérêts, encore faudrait-il qu’ils en aient la volonté.
Il y a un certain ma l aise, c’est vrai, avec l’idée de défendre les
intérêts français au niveau européen, dans la mesure où l’on a estimé
que l’idéal européen devait primer à tout prix. Et on finit par
considérer que les sacrifices nationaux sont le signe heureux que cet
idéal est en train de s’imposer. On se méprend ainsi gravement sur le
sens de la construction européenne.
Comment les Français espèrent-ils faire prévaloir les intérêts de
l’Europe dans le monde, s’ils ne sont pas capables d’y bâtir les réseaux
de leur propre influence ? |
Comment fonctionnent les Français ?
De deux façons : soit on attend que la norme européenne sorte et on
définit une position française, au dernier moment, quand il est trop
tard, soit on arrive avec un grand projet qu’on présente à nos
partenaires, en espérant qu’il suscite une adhésion générale. Or ce
n’est pas comme ça que ça se passe ! La norme européenne se construit
très en amont. Elle se construit aussi, comme savent le faire les
Britanniques, par le suivi très attentif des législations au sein même
des institutions européennes à travers le placement et le suivi des
fonctionnaires au sein des institutions. Les Français sont convaincus
que pour influencer une institution, il faut être à sa tête : Trichet à
la BCE, Strauss-Kahn au FMI, Lamy à l’OMC… Et on se désintéresse des «
petits » fonctionnaires. Or ce sont eux qui font tourner la boutique au
quotidien et qui élaborent les normes et les directives qui concerneront
450 millions d’Européens ! |
En clair, vous ne trouvez pas très stratégique d’arriver dès
le départ avec un grand projet sur la table, avec lequel on dévoile ses
batteries.
Oui, Aujourd’hui, on ne peut plus seulement s’appuyer sur un processus
diplomatique qui consiste à dire : j’ai une idée, qui m’aime me suive !
Dans une Europe à 27, il faut à la fois réunir une coalition d’États et
faire en sorte que le projet, quand il sort de la commission, soit
validé comme étant conforme à l’intérêt européen. Il faut que les
Français comprennent qu’avec 27 États membres, le poids de la France est
fortement diminué, on ne peut plus s’appuyer sur le seul poids
démographique et économique de notre pays. Dans mon livre, je me suis
justement attaché à formuler des propositions pour retrouver les voies
de notre influence perdue. |
Chez les Anglo-Saxons, il semble qu’il y ait entre le privé
et le public une alliance naturelle.
Les passages du public au privé sont importants au Royaume-Uni. En
France, seules les grandes entreprises sont bien représentées par les
pouvoirs publics. Pas les PME. En résumé, l’osmose entre l’État et le
monde économique est meilleure chez les Anglo-Saxons qu’en France. |
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